La création des étangs de Hollande au Perray-en-Yvelines
par Jade, 12 ans ; Naëly, 9 ans ; Aude, 10 ans ; Cléa, 10 ans, avec le concours de Sophie Humann pour l’écriture et d’HMPY pour la documentation.
Lors des premières heures de mon périple, parti de Saint-Léger, j’ai longé un interminable étang sur un étroit sentier qui fendait les roseaux. De la vase, par
moments, montait une odeur de vieille pomme. J’avais faim. Attiré par un bruit léger, je me suis allongé, j’ai écarté doucement les roseaux. Un râle d’eau veillait sur sa nichée. J’ai mangé mon dernier morceau de pain en observant sa belle gorge grise et son bec mince qui faisait d’incessants voyages vers ceux grand ouverts de ses trois petits. Puis je me suis endormi. Au matin, toute la famille avait disparu, mais mes vêtements étaient gorgés d’humidité. Je frissonnais. Il me fallait trouver une ferme accueillante ou une auberge au plus vite. Je me levai, passai ma besace à mon cou et repris ma route.
Une demi-heure plus tard, j’arrive en vue du Perray. Quatre filles jouaient à la marelle devant une maison de pierre.
– Bonjour, demoiselles, savez-vous où je pourrais trouver de quoi manger, et puis boire ?
– Bonjour, répondit la plus âgée, qui paraissait aussi la plus grave, en pointant du doigt la pâture abandonnée, vous trouverez une ferme, Monsieur, derrière
la Mare au loup.
– La Mare aux loups ? En voilà un drôle de nom ? Il y en a beaucoup chez vous ?
– De loup tueur d’homme, il n’y en eut qu’un, Monsieur, au Perray, et si vous étiez d’ici, vous le sauriez.
– Mais comme je n’en suis pas, saurais-tu m’en conter l’histoire ?
– Volontiers, voici ce qui est arrivé. La dernière fois qu’on a vu le loup, au Perray, c’était en 1660. Enfin, quelqu’un l’a aperçu, Coutel, l’ancien fermier de Porrois. Et ce loup était si malin, qu’il avait vidé une brebis de ses entrailles pour alléger son poids et filé avec la dépouille sur son dos. Vingt ans plus tard, un autre loup a frappé. On a retrouvé une femme près d’une mare. Elle se nommait Simone Brisset. Elle ne bougeait plus. Elle était morte la pauvre, morte de la bête, comme on dit, de la bête de l’Yveline, c’est le nom de notre forêt. Depuis, les loups n’ont plus tué d’humain au Perray. Il faut dire qu’il y en a eu du bruit et du mouvement par ici. En 1684, les ingénieurs du Roi ont décidé de creuser une chaîne d’étangs et un réseau de rigoles pour apporter l’eau jusqu’aux fontaines à Versailles. Pour arriver jusque chez nous, vous avez dû longer celui qu’on appelle l’étang d’Orlande. Ce sont les soldats qui ont creusé ces étangs dans la chaleur de l’été, pendant que les tambours résonnaient jour et nuit pour éloigner les loups du chantier… Quinze mille soldats ont creusé les étangs en moins de deux ans. Il y a eu deux mille morts, surtout du mal des marais. C’était une vie rude, pour tout le monde.
Certains ont témoigné :
« Je suis un soldat de Louis XIV et je dois creuser. J’ai mal aux mains. Elles sont si rouges que je les bande avec un morceau de ma chemise. Un ami est mort hier, à cause de la chaleur et de l’odeur des marais qui attire les moustiques. Cette nuit, j’ai eu peur parce que j’ai entendu des cris de loups au loin. Mais heureusement, le Grand Dauphin chasse les loups tous les jours dans la forêt. J’aimerais fuir, mais d’autres soldats montent la garde, j’ai peur de me faire punir. J’ai soif… »
« Je me lève tôt. La chaleur nous tue tous à petit feu, des compagnons sont morts des fièvres. Un soldat me crie de me remettre au travail, la chaleur est étouffante. La ferme de Porrois a été démolie pour que nous creusions l’étang. Mais il y a eu le feu au village, un tremblement de terre, il y a peu, et une femme a même été tuée par un loup ! J’ai peur que tout cela finisse mal. Dieu est-il contre nous ? »
« Je suis une paysanne qui vit dans la Loire. Mon mari est parti travailler pour notre Roy, il creuse un étang près de Versailles. J’ai reçu une lettre qu’il a fait écrire. La voici :
« Ma très chère Marie-Elise, je travaille très, très dur sous la chaleur, les moustiques, et des odeurs abominables, sous les cris de ce traître de Vincent qui nous harcèle pour qu’on creuse. Nous n’avons guère de nourriture ni d’eau, mes genoux sont en purée. Je suis sûr que notre Roy ignore combien de gens meurent ici chaque jour. Qui le lui dira ? Je te quitte en t’embrassant. »
« Moi, je suis chassé par les hommes, ces hommes qui tuent notre gibier. Nous, les loups, nous sommes haïs. C’est vrai, j’ai mangé une femme. Mais je n’y suis pour rien. Elle est tombée, et elle ne bougeait plus, alors je l’ai dévorée. Les hommes transpirent, ils doivent manquer d’eau, mais je n’y suis pour rien. Je ne décide pas le monde. Le Grand Dauphin nous poursuit sans cesse, et en plus, ici, il y a tout le temps des bruits atroces car les hommes frappent la terre : « Tam, tam, tam ! ». Mes frères et moi, nous n’aimons pas les hommes. Je les vois de loin en train de creuser, souffrir et mourir, comme nous. »
HMPY dédie cette belle page d’histoire à François Mouret qui nous a quittés le 13 juillet.
La création des étangs de Hollande au Perray-en-Yvelines
par Jade, 12 ans ; Naëly, 9 ans ; Aude, 10 ans ; Cléa, 10 ans, avec le concours de Sophie Humann pour l’écriture et d’HMPY pour la documentation.
Lors des premières heures de mon périple, parti de Saint-Léger, j’ai longé un interminable étang sur un étroit sentier qui fendait les roseaux. De la vase, par
moments, montait une odeur de vieille pomme. J’avais faim. Attiré par un bruit léger, je me suis allongé, j’ai écarté doucement les roseaux. Un râle d’eau veillait sur sa nichée. J’ai mangé mon dernier morceau de pain en observant sa belle gorge grise et son bec mince qui faisait d’incessants voyages vers ceux grand ouverts de ses trois petits. Puis je me suis endormi. Au matin, toute la famille avait disparu, mais mes vêtements étaient gorgés d’humidité. Je frissonnais. Il me fallait trouver une ferme accueillante ou une auberge au plus vite. Je me levai, passai ma besace à mon cou et repris ma route.
Une demi-heure plus tard, j’arrive en vue du Perray. Quatre filles jouaient à la marelle devant une maison de pierre.
– Bonjour, demoiselles, savez-vous où je pourrais trouver de quoi manger, et puis boire ?
– Bonjour, répondit la plus âgée, qui paraissait aussi la plus grave, en pointant du doigt la pâture abandonnée, vous trouverez une ferme, Monsieur, derrière
la Mare au loup.
– La Mare aux loups ? En voilà un drôle de nom ? Il y en a beaucoup chez vous ?
– De loup tueur d’homme, il n’y en eut qu’un, Monsieur, au Perray, et si vous étiez d’ici, vous le sauriez.
– Mais comme je n’en suis pas, saurais-tu m’en conter l’histoire ?
– Volontiers, voici ce qui est arrivé. La dernière fois qu’on a vu le loup, au Perray, c’était en 1660. Enfin, quelqu’un l’a aperçu, Coutel, l’ancien fermier de Porrois. Et ce loup était si malin, qu’il avait vidé une brebis de ses entrailles pour alléger son poids et filé avec la dépouille sur son dos. Vingt ans plus tard, un autre loup a frappé. On a retrouvé une femme près d’une mare. Elle se nommait Simone Brisset. Elle ne bougeait plus. Elle était morte la pauvre, morte de la bête, comme on dit, de la bête de l’Yveline, c’est le nom de notre forêt. Depuis, les loups n’ont plus tué d’humain au Perray. Il faut dire qu’il y en a eu du bruit et du mouvement par ici. En 1684, les ingénieurs du Roi ont décidé de creuser une chaîne d’étangs et un réseau de rigoles pour apporter l’eau jusqu’aux fontaines à Versailles. Pour arriver jusque chez nous, vous avez dû longer celui qu’on appelle l’étang d’Orlande. Ce sont les soldats qui ont creusé ces étangs dans la chaleur de l’été, pendant que les tambours résonnaient jour et nuit pour éloigner les loups du chantier… Quinze mille soldats ont creusé les étangs en moins de deux ans. Il y a eu deux mille morts, surtout du mal des marais. C’était une vie rude, pour tout le monde.
Certains ont témoigné :
« Je suis un soldat de Louis XIV et je dois creuser. J’ai mal aux mains. Elles sont si rouges que je les bande avec un morceau de ma chemise. Un ami est mort hier, à cause de la chaleur et de l’odeur des marais qui attire les moustiques. Cette nuit, j’ai eu peur parce que j’ai entendu des cris de loups au loin. Mais heureusement, le Grand Dauphin chasse les loups tous les jours dans la forêt. J’aimerais fuir, mais d’autres soldats montent la garde, j’ai peur de me faire punir. J’ai soif… »
« Je me lève tôt. La chaleur nous tue tous à petit feu, des compagnons sont morts des fièvres. Un soldat me crie de me remettre au travail, la chaleur est étouffante. La ferme de Porrois a été démolie pour que nous creusions l’étang. Mais il y a eu le feu au village, un tremblement de terre, il y a peu, et une femme a même été tuée par un loup ! J’ai peur que tout cela finisse mal. Dieu est-il contre nous ? »
« Je suis une paysanne qui vit dans la Loire. Mon mari est parti travailler pour notre Roy, il creuse un étang près de Versailles. J’ai reçu une lettre qu’il a fait écrire. La voici :
« Ma très chère Marie-Elise, je travaille très, très dur sous la chaleur, les moustiques, et des odeurs abominables, sous les cris de ce traître de Vincent qui nous harcèle pour qu’on creuse. Nous n’avons guère de nourriture ni d’eau, mes genoux sont en purée. Je suis sûr que notre Roy ignore combien de gens meurent ici chaque jour. Qui le lui dira ? Je te quitte en t’embrassant. »
« Moi, je suis chassé par les hommes, ces hommes qui tuent notre gibier. Nous, les loups, nous sommes haïs. C’est vrai, j’ai mangé une femme. Mais je n’y suis pour rien. Elle est tombée, et elle ne bougeait plus, alors je l’ai dévorée. Les hommes transpirent, ils doivent manquer d’eau, mais je n’y suis pour rien. Je ne décide pas le monde. Le Grand Dauphin nous poursuit sans cesse, et en plus, ici, il y a tout le temps des bruits atroces car les hommes frappent la terre : « Tam, tam, tam ! ». Mes frères et moi, nous n’aimons pas les hommes. Je les vois de loin en train de creuser, souffrir et mourir, comme nous. »
HMPY dédie cette belle page d’histoire à François Mouret qui nous a quittés le 13 juillet.